Gros succés du post des éconoclastes sur le sujet :
http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/index.php/?2011/03/07/1773-le-mythe-de-l-obsolescence-programmee

J’ai envie de reprendre deux commentaires franchement intéressant parmi ceux qui ont été déposés sur leur site. Le premier est sur pourquoi nous avons des documentaires de merde en France :

Excellent article qui n’est à côté de la plaque qu’au final : vous attribuez le penchant complotiste et l’aveuglement économique du docu à une sorte de « faute professionnelle ».

Ce faisant vous êtes dans l’erreur : là comme ailleurs, c’est une pure question de demande suscitant l’offre. Autrement dit , les commanditaires c’est-à-dire les chaines de télévision, font fabriquer ce qu’ils veulent voir à l’attente.

En écrivant cela je défends bien évidemment ma boutique puisque j’exerce cette coupable de profession de documentariste plus ou moins spécialisé dans l’économie…

Depuis une dizaine d’années, pratiquement tous les docus économiques qui « marchent bien » (c’est à dire qui recueillent de bonnes critiques et font de l’écoute) sont à base idéologique « complotiste » et « horreur économique ». C’ est devenu comme une norme du genre.

Si vous regardez de près les cases documentaires des programmes de télévision vous serez frappés de ce qu’on navigue aujourd’hui au rythme d’enfer : « un documentaire, un scandale ». L’impératif est tellement fort que les professionnels de la profession ont aujourd’hui un problème : on est à court de scandales. Du coup, on se retrouve à en débusquer là où il n’y en a pas vraiment…

Par exemple, vous avez sans doute remarqué le nombre incroyable de documentaires nous expliquant qu’on mange de la merde et que l’agroalimentaire nous empoisonne au sens strict du mot.

Tous ces films font d’excellents taux d’écoute sans doute parce qu’ils excellent à maintenir la cohérence de leur discours économique par exemple en évitant tous soigneusement de se demander par quel miracle l’espérance de vie peut-être en constante augmentation alors même qu’à les en croire notre environnement nutritif est en pleine dégradation…

En posant cette question je fais évidemment l’imbécile car je n’ignore pas que quand l’idéologie est en contradiction avec les faits, ce sont les faits qui ont tort.

Plus sérieusement, il est très intéressant de s’interroger quant aux raisons pour lesquelles les approches « complotistes » et « horreur économique » sont aussi en vogue aussi bien auprès du public que des responsables de chaînes.

Il y a mon avis plusieurs raisons qui convergent toutes. Certaines relèvent de la sociologie des organisations, d’autres des phénomènes d’idéologie dominante, d’autres enfin des règles de la dramaturgie.

Du côté des responsables de chaînes commanditant les programmes, on notera qu’aucun n’a la moindre formation économique. Pour ceux qui ont des formations supérieures, presque tous sont des littéraires purs et durs (sociologie, lettres, psychologie, journalisme, droit, histoire, science politique au mieux ). Il en est de même des journalistes qui écriront les critiques. Pas le moindre économiste, commercial ou spécialiste du marketing en vue…

Politiquement, surtout sur les chaînes publics, Arte compris, la plupart des commanditaires ont un passé et même un présent de militant d’extrême gauche. Les plus droitiers sont à l’aile gauche du PS version Hamon. Autrement dit, presque tous sont en rupture morale fondamentale avec le principe même de l’économie de marché. Il en résulte que l’approche « horreur économique » de l’économie est largement dominante. Il est très difficile aux voix dissonantes d’émerger pour les raisons classiques de sociologie des organisations qui font qu’on a tendance à coopter ceux qui partagent vos idées.

Mieux encore, la génération des responsables « méndéso-rocardo-jospinistes » c’est-à-dire ceux qui quoi que de gauche pensaient qu’il convenait malgré tout de produire les richesses avant que les distribuer est en train de passer la main. Elle est remplacée par des gens qui ont intellectuellement tendance à faire de la morale plutôt que de la politique ce qui les éloigne par essence d’un vrai rapport aux faits.

Dans les chaines idéologiquement de droite (TF1, M6 , W8, C+ , etc….) les responsables sont sociologiquement et intellectuellement de droite mais depuis quelques années la force des idées écologiques plus ou moins décroissantes leur fait envisager l’économie comme une forme de nuisance plutôt que la contrepartie d’un bien-être. Autrement dit, on peut aussi bien arriver par la droite que par la gauche au schéma « l’horreur économique ».

Dans cet environnement, il est extrêmement difficile de défendre une approche simplement factuelle et pédagogique des choses. Notre société est tellement « de défiance » qu’on est perpétuellement sommé de débusquer l’entourloupe des classes dirigeantes. Difficile dans cette atmosphère de garder la tête froide et de maintenir le curseur du récit là ou il doit être.

Par ailleurs, il faut bien reconnaître que le complotisme fait de la bonne dramaturgie. Il y a des bons et des méchants. Le réalisateur (et donc avec lui le spectateur) étant bien évidemment du côté des bons, on attend avec impatience la dénonciation et la défaite du « dark side of the force ». On bat des mains à voir les méchants se faire démasquer. Il y a de la passion et donc du plaisir à regarder…

Autre grand avantage du complot : c’est une valorisation par essence du spectateur. En effet, il est, comme le réalisateur, par définition toujours du côté des grands initiés, ceux qui ont su dessiller les yeux et voir le réel qu’on voulait leur cacher (car je n’ai jamais vu un récit à mécanique complotiste raconté du point de vue des gens abusés c’est-à-dire des imbéciles…. ) Il faut bien reconnaître qu’il y a du plaisir et de l’exaltation à se convaincre qu’on est intelligent et qu’on fait partie de ceux qui ont su y voir clair.

A l’inverse, l’économie ne fait pas le poids en termes d’affect et de dramaturgie car c’est un univers de la nuance et de la complexité. On y examine avec raison et froideur les moult effets pervers prêt à surgir au coin du bois. Trop compliqué et abstrait et donc au final peu bandant ! Comme disait le grand Alexis (de Tocquevlle) : « Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe ». Là est le drame absolu de l’économie à la télé.

Dernier point, c’est une banalité de constater que la France est le pays des idées générales et de la croyance dans le pouvoir créateur du politique. Si l’assemblée nationale vote que l’herbe est bleue et le ciel vert et bien qu’il en soit ainsi…

Autrement dit, dans la hiérarchie de ce qui fait l’intelligence du monde, les faits occupent le bas de l’échelle.

Si vous travaillez pour la BBC ou National Geographic, vous aurez la surprise quelques semaines avant la diffusion de recevoir un coup fil d’un jeune assistant « fact checker » auquel vous devrez justifier vos sources.

Par exemple, si votre commentaire assène que les biberons au bisphénol donnent le cancer aux nourrissons , il vous demandera de lui faxer les études vous permettant de dire ça.

Rien de tel sur les chaines de télévision française. Là, le seul contrôle est celui de conformité aux idées générales c’est-à-dire la communion avec les opinions du commanditaire ou l’évitement des chausses trappes du politiquement correct. Sur le reste (par exemple les chiffres bruts) vous pouvez raconter absolument n’importe quoi sans que quiconque ne cille.

Par exemple, récemment, une phrase de commentaire d’une émission magazine, indiquant que 1% des américains les plus riches possédaient 90% de la richesse nationale. La phrase a passé sans encombre une bonne dizaine de filtres et n’a été intercepté que juste avant l’antenne (par moi….).

Pourtant, il ne suffit que d’une culture économique très basique pour relever qu’a contrario il résulterait de cette affirmation que 99%¨de la population américaine vit avec 10% de la richesse nationale ce qui serait proprement stupéfiant dans un pays massivement de classe moyenne comme il suffit de se promener dans les banlieues pour s’en convaincre (en fait, le premier centile mobilise aux environs de 27 % de la richesse nationale ce qui est déjà proprement colossal en terme d’inégalité).

Bref, l’économie, la vraie, celle de la réalité et de la complexité, n’a vraiment pas de beaux jours devant elle sur les étranges lucarnes….

Le second est sur le sujet qu’on laissé un peu de coté les éconoclates, celui de l’asymétrie d’information entre le fabricant et le consommateur et donc la tendance des marchés à dériver vers un « market for lemon » où on achète le moins cher faute de savoir si le produit qui l’est plus durera suffisamment longtemps pour justifier la différence de prix, donc un marché où les fabricants favoriseront systématiquement ce qui fait baisser le prix, même si ça fait baisser énormément la durabilité :

Demandez à n’importe quel Dr Marketing, et il vous tiendra une autre analyse:
A l’instant t, les clients n’ont pas le moyen de comparer la durée de vie des produits. Tout au plus peuvent-ils comparer les fonctionnalités. Dc les fabricants se battent au maximum sur ces fonctionnalités. Ensuite, les ingénieurs fabriquent au moins cher le produit rendant les fonctionnalités. Et en passant, ils rognent sur la quantité et la qualité des matières premières, sur la qualité des process, on remplace le métal par le plastique, etc,… ce qui se traduit par une baisse de la durée de vie.
C’est la 1ère cause.
C’est pour cette raison que quasiment tous les segments de grande consommation voient une tendance à la baisse du prix, puis la baisse en gamme, l’apparition de premiers prix et le déplacement des productions vers des zones a main d’oeuvre meilleur marché.

Bien sûr il y a toujours un fabricant pour essayer de se spécialiser dans le haut de gamme (voir par ex. les produits electro-menagers Miele qui durent de 2 à 3 fois plus longtemps mais coutent 2 fois plus cher)
Le plus souvent, c’est cet achat qui est le plus rentable pour le consommateur. Mais ce dernier ne le sait pas s’il n’a pas les réseaux informationnels pour le lui prouver. Et du coup, il y a moins de clients pour ce positionnement, et donc la place est dure a occuper, surtout qu’il faut innover pour faire des fonctionnalités différenciantes le plus souvent inutiles, pour ancrer dans l’esprit du client la supériorité technique du produit. Au total, la plupart des fabricants préfèrent éviter ce positionnement, par ailleurs vite détruit en cas de problème de production ou d’erreur dans la gestion du portefeuille de produit.

Ce raisonnement est d’autant plus vrai que le produit est peu impliquant et qu’on agit sur impulsion. Il commence a l’être beaucoup moins sur une voiture, car vu les sommes en jeu, on va se renseigner sur la fiabilité.
Il est également conforté dans les domaines où les clients aiment le changement, quand l’obsolescence est pratiquement désirée par le client. Il est de notoriété publique que Zara a bâti son succès sur sa capacité à proposer des produits à petit prix, de qualité limitée, mais suffisamment solides pour durer une saison, jusqu’à la prochaine mode. Et ces chaines de textile ont tué l’industrie du textile française, qui favorisait la durabilité au détriment du prix.

Ensuite vient l’obsolescence programmée, c’est-a-dire intentionnelle.
Bien sûr qu’elle existe, par exemple par l’augmentation des prix des pièces détachées, par la modification de l’écosystème compatible. C’est le mode de fonctionnent de l’industrie informatique, qui crée des fonctionnalites demandant de la puissance pour forcer à changer de plateforme matérielle, et vend ainsi des nouveaux logiciels (le couple Intel/Microsoft; ou Apple, qui exclue arbitrairement certains matériels moins récents de la liste des produits compatibles avec les nouveaux O.S). C’est les dates de péremption qui sont raccourcies.

Nous vivons dans une société qui porte bien son nom: la société de consommation. Elle s’arrête si on s’arrête de consommer.
Donc le système, de façon endogène pousse à la consommation, en raccourcissant les cycles de vie et en créant des besoins artificiels.
L’obsolescence programmée ou subie en est un des moteurs essentiels